« Par delà leurs différences, les socialistes ont la
conviction profonde qu’il est possible de construire une nouvelle étape
dans la longue marche de leur parti »
François Mitterrand, Congrès d’Epinay 13 Juin 1971 Mes Chers Camarades,
Au moment où je m’adresse à vous par cette voie épistolaire, notre parti s’achemine inexorablement vers son Congrès.
Le 15ème de sa longue existence, jalonnée de moments historiques
faits de ruptures difficiles et d’avancées incontestables, mais toujours
dans une démocratie vivement exprimée et soucieuse d’intégrer à toutes
les étapes, la parole et la pensée des militants qu’ont été nos parents
et grands parents et que nous sommes aujourd’hui.
C’est que le Congrès n’est pas qu’une simple occurrence dans la vie d’un parti.
Même lorsqu’il revêt le qualificatif d’ordinaire, il est toujours un
moment magique, de rencontres, d’interrogations, voire de remises en
cause, embrassant ainsi la marche du temps politique.
Pour nous
socialistes, il est surtout le parachèvement d’un processus démocratique
de légitimation de nos instances de la base au sommet, celle de nos
dirigeants, parmi lesquels notre leader premier.
C’est donc dire que le Congrès n’est pas plus important que les procédures qui le précèdent et qui nous y amènent.
Si j’ai choisi, en ces moments historiques de porter ma parole
jusqu’au fond du Sénégal où se trouvent nos coordinations, soucieuses de
notre Parti, de son existence et de son devenir, c’est que, en moi et
en la militante que je suis, demeure une grande part d’interrogations à
ce jour insatisfaites.
Ces interrogations légitimes tiennent en
trois points autour de notre Parti et de sa réalité politique, de notre
projet socialiste dans l’actualité et l’universalité de son message, de
notre pays auquel nous sommes tous tant attachés.
Pour ce qui est
de Notre Parti, dire qu’il est celui de Senghor, pour nous en glorifier
et nous en arrêter à porter ce lourd et glorieux héritage serait aussi
futile qu’embrasser le vent.
C’est vrai, le Parti Socialiste est
bien celui de Senghor : celui que, avec une poignée de camarades, en un
jour d’hivernage lourd d’interrogations et d’incertitudes, il a porté
sur les fonts baptismaux, justement parce qu’il voulait, mais surtout
parce qu’il devait rompre d’avec une certaine pensée qui ne rencontrait
plus sa conviction.
Que notre immense gratitude et notre
engagement à tenir et renforcer l’héritage, récompensent le courage des
grands précurseurs qu’ont été Léopold Senghor, Jaraaf Saidou Ibrahima
NDaw, Mamadou Dia, Maître Léon Boissier Palun, André Guillabert, Amadou
Loum Cissé Dia, Pierre Edouard Diatta et tant d’autres qui les ont suivi
dans cette grande aventure historique.
Ainsi, comme nous l’ont
enseigné ces illustres devanciers, engager les ruptures lorsqu’elles
sont nécessaires est donc la raison d’être, ou à tout le moins, le
viatique de notre Parti.
Sommes-nous en ce temps précis dans cette perspective ?
Oui nous y sommes !
Or, le processus de renouvellement de nos instances de base engagée –
je le concède – depuis fort longtemps, devait impérativement être
achevé avant le Congrès.
Nous devions donner du temps à ce temps là car il n’est pas moins important que celui du Congrès.
Pourtant tel n’est pas le cas !
Est-il imaginable, parce que simplement non conforme à nos textes,
que nombre de coordinations, structures fondamentales de notre
organisation politique, soient écartées du Congrès pour n’avoir pas été
renouvelées ?
Quid des Unions Départementales et Régionales qui à ce jour ne sont pas encore mises en place ?
(J’ai frissonné à entendre un jeune camarade lors de notre Comité
Central du 14 Mai, proposer la mise sous tutelle de ces nombreuses
structures !)
Qui alors, dans ces circonstances, légitimera
l’élection du Secrétaire Général et celle de toutes les autres instances
de décision (Bureau Politique – Comité Central et Conseil National ?)
De la tenue du Congrès, aucune structure ne devra être exclue !
Si nous le faisions, il s’agira au mieux pour nous de commettre un manquement grave.
Au pire, nous serions coupables d’une faute inexcusable.
Mais il y a mieux !
Avons-nous régulièrement convoqué ce Congrès lorsque l’on sait que le
Comité Central et non pas le Bureau Politique est seul habilité à le
faire ?
Peut-on penser que lorsqu’une quarantaine de personnes
demandent la tenue du Congrès sur plus de cinq cent présents, qu’une
majorité s’est dégagée pour y consentir ?
Et que pense cette foule silencieuse de plus de 450 personnes ?
N’aurions-nous pas dû valider cette importante décision par un vote régulier de l’instance ?
Voilà pour ce qui est de la forme et elle est fondamentale s’agissant du respect de nos textes.
De surcroit est-il acceptable de tenir ce Congrès en violant nos
propres textes, particulièrement celui de l’article 26 de nos Statuts
qui indique :
«Le Parti Socialiste se réunit tous les quatre ans
en congrès ordinaire. Le Secrétaire Général du Parti y présente un
rapport traitant des questions de politique général, de doctrine et de
la vie du Parti.
Des rapports plus spécifiques peuvent être présentés à la demande du Comité Central.
Les rapports devront être communiqués aux structures de base au moins un mois avant la tenue du Congrès »
Or, à ce jour, ce rapport n’est pas parvenu aux instances qui doivent se prononcer politiquement et librement là-dessus.
Pourtant, c’est bien par ce moyen que les militants engagent le débat
et se prononcent sur le sujet du Congrès et la vie du Parti.
Ainsi, loin d’un simple formalisme, il s’agit là de permettre aux
différentes coordinations de s’approprier du débat, de le porter, en
contrant les idées proposées ou en les enrichissant.
Voilà
pourquoi, ce moment est l’un des plus démocratiques du Congrès, pour ne
pas dire son essence et sa justification, car pour une fois, le militant
dispose de la parole et du choix.
Toutes ces questions et
appréhensions démontrent à suffisance que nous ne sommes pas prêts, sauf
à tenir et organiser un Congrès partiel juste convoqué pour élire un
Secrétaire Général.
Or, il ne s’agit pas que d’élire un Secrétaire Général !
Plus que de cela, il est question plutôt de nous interroger sur nous
mêmes, sur le fonctionnement de notre Parti, son exigence de modernité
et de transparence, tant dans son fonctionnement, sa structuration que
dans sa prise de décision.
Pour être le Parti de Senghor, le
Parti Socialiste ne devrait-il par exemple, prendre l’initiative
historique de publier annuellement ses comptes auprès des organes
habilités à les recevoir ? (Cour des Comptes - Ministère de l’Intérieur)
Le débat surréaliste sur la vente supposée (et finalement non
avérée) d’une parcelle de la Maison du Parti nous a instruits sur
l’acuité et l’importance pour nous de régler définitivement une telle
question.
Mais soyons justes !
Ousmane Tanor DIENG a
contribué largement à l’ouverture du Parti, à sa consolidation après
notre défaite de 2000, à sa résilience et a amorcé sa modernisation.
La création de Vision Socialiste, le Réseau des Universitaires
Socialistes, l’organisation des primaires, l’élection du Secrétaire
Général au bulletin secret, c’est de lui et de son temps !
Nous
lui en savons gré comme nous lui savons gré d’avoir, dans les moments de
doute et de découragement, tenu la barre avec courage.
Jamais ne
s’effaceront de notre mémoire, ces moments de combats épiques portés
par un chef volontaire entouré d’une équipe solidaire et généreuse.
Mais nous pouvons et devons aller au-delà (nous en ferons la
proposition car il sera fastidieux d’énumérer dans le cadre de cette
adresse, notre projet de modernisation du Parti)
L’essentiel pour
nous est de comprendre et d’être convaincus que le Parti de Senghor ne
saurait être celui du passé, car l’actualité et la modernité du message
des Pères fondateurs doit nous pousser à être encore plus audacieux et
aller de l’avant
Nous nous devons autant de l’être que la pertinence de notre projet politique nous y invite.
Car en vérité, nous sommes des socialistes !
Mais, il ne suffit pas de l’affirmer !
Plus que cela, il faut oser l’être !
L’être par les idées et l’être par le vécu et les actes.
Nous devons ainsi toujours tenir l’actualité du projet socialiste et
réaffirmer devant cette scène politique où l’embrouillamini tient le
haut du pavé, notre identité politique.
Celle là même qui nous
différencie des autres et, qui fait que nous ne pouvons accepter de nous
dissoudre comme morceau sucre dans l’eau, dans le flou des coalitions,
surtout celle au pouvoir, sans marquer notre territoire entre le
possible et l’impossible, l’acceptable et l’inacceptable.
Nous devons partout porter les idées et les valeurs du socialisme.
Il est heureux que le thème du 15ème Congrès s’intitule « Valeurs socialistes face au défi de notre époque.
Il est toutefois dommage que la non communication du rapport du
Secrétaire Général (en violation de l’article 26 des Statuts précité) ne
permette pas aux militants de base de se prononcer sur une question
aussi vitale qui engage leur identité de socialistes et fonde leur
engagement politique !
Voilà ce que ce Congrès rate !
Un
débat fondamental, essentiel, qui, porté par des hommes et des femmes
libres, parce que militants, aurait pu enrichir, au-delà des nos
espérances, cette remise en cause perpétuelle dans laquelle s’inscrit
l’idée socialiste dans la permanence de son message.
Comme le
disait François Mitterrand, alors opposant, que « chaque citoyen se
sente prince en son royaume » et le Parti Socialiste sera un empire
d’audaces et d’idées librement et généreusement exprimées.
Plus
prosaïquement, la victoire de Benno Bok Yaakar en Mars 2012 ne doit pas,
pour le Parti Socialiste, clore un élan mais bien ouvrir un nouveau
combat.
Celui promethénien d’un enjeu politique et intellectuel qui nous réconcilie avec le débat d’idées.
Je le sais, en ces temps de désaffection politique et d’apathie
générale, cela peut paraître utopique, mais au moment où nous prétendons
mobiliser des milliers de militants pour tenir le Congrès, il serait
décevant, pour ne pas dire médiocre, de nous contenter juste de quelques
moments de retrouvailles festives.
Car, plus qu’au choix des
hommes, finalement secondaire pour ceux qui, comme moi croient à
l’ouverture collective, c’est à l’élaboration de notre projet et à son
application concrète que nous devons associer les militants socialistes.
En vérité, c’est parce qu’il ne s’agit pas de nous, mais de notre pays.
Nous socialistes, portons toujours en bandoulière l’idée que notre Parti est né et créé pour servir le Sénégal.
Ma conviction profonde est que le Sénégal a besoin du Parti
Socialiste, d’un Parti Socialiste ouvert, rénové, généreux et fidèle à
ses idées.
Nous devons, dans l’opposition comme au pouvoir, seul ou en coalition, nous mettre au service de notre pays.
Les grandes interrogations qui le secouent ne peuvent nous laisser indifférents.
Renouer avec le débat fécond sur notre système institutionnel (et
l’acte 3 de la Décentralisation nous a rappelé l’urgence et l’importance
de débattre), sur notre économie (que vaut-elle aujourd’hui à l’aune du
projet de transformation sociale dont nous sommes porteurs ? ) sur les
questions sociétales (la difficile mise en application de la parité nous
y a pleinement installés) et tant d’autres sujets enfouis dans nos
consciences et qui nous rendent éveillés à l’idée que notre part de
réflexion y est attendue.
Le socialisme de la liberté, celui du débat fécond, enfoui dans nos esprits et nos consciences ne demande qu’à renaître.
Rendre le Parti Socialiste au Sénégal et le mettre à son entière
disposition, c’est restituer à notre pays son bien commun, j’allais
dire, son bien naturel.
Si nous le faisons, nous n’aurons pas
seulement rendez-vous avec un Congrès, nous aurons d’abord rendez-vous
avec nous mêmes et avec notre pays.
Pour moi, c’est bien là l’essence d’un engagement militant et la noblesse de la politique.
Avec mes sentiments socialistes,
Me Aïssata TALL SALL Responsable Socialiste
Membre du Bureau Politique