samedi 30 novembre 2013

A la découverte de Dounguel la tanière des Gaygaybés



A quelques encablures de Cas-Cas, agrafé sur la berge du fleuve Sénégal telle une bosse cramponné sur le dos d’un  chameau Doungel comme tous les villages de l’Ile A Morfil, exhibait et confiait, son éclat, son charme, son élégance et sa délicatesse  à la doucereuse eau venue des hautes montagnes du Fouta Djallon.
Doungel se levait tous les jours, ardent, vibrant,  et tonitruant sous les fracas et claquements de sabots de chevaux, de vaches,  d’ovins et de caprins. Ici le matin  et le soir  pourtant si opposés ont réussi  a s’apparenter, s’associer et se ressembler pour former ce moment unique, exceptionnellement agréable, beau et élégant ; cet instant de clair obscure ,quand il ne fait ni  jour ni nuit ,alors que  le même chant du coq servant de cloche aux démarrages des activités dès l’aurore, marque en même temps au  crépuscule le retour à la maison du troupeau, des hommes et des femmes tous à la fois, pasteurs, pêcheurs, et laboureurs. 

Ce n’est pas que cette faveur que dame nature  a offert au village. Il lui a aussi donné le privilège d’être le témoin d’un autre  spectacle  tout aussi admirable et insolite ,car lui permettant de scruter et d’ apprécier  tous les soirs  , le soleil très cachottier  se baissait pour ,on ne sait ni si c’est pour boire ou pour embrasser l’eau  douce et calme du fleuve  devant des vagues  prolixes et plaignantes , presque jalouses de l’idylle entre les deux tourtereaux. La nature parait se plaire dans le paradoxe par là, la tradition se confond avec la modernité, des maisons en banco juxtaposées avec des villas en ciment, sous une flore abondante et diversifiée.
Une école élémentaire construite en 1957  a vu grandir d’éminents intellectuels à l’image de l’illustre Amadou Malick Gaye fondateur de l’union pour la solidarité et l’entraide (U.S.E) et du programme intégré de Podor(P.I.P). De grands directeurs tels que Malick Ndour, Aliou Boubou Gaye et même Omar Ciré Gaye ont formés de nombreux cadres qui se retrouvent partout au service de notre pays dans tous les domaines de la vie. Le regroupement des jeunes de Dounguel dés le début des années 80 a construit  un dispensaire   qui constitue avec l’école élémentaire et le collège le parc administratif du village .
Mais le regard du visiteur est forcément capté par  l’architecture du marché construit grâce aux émigrés établis en France , le  château d’eau du forage mais aussi et surtout par la belle tour de la grande mosquée où le charismatique Thierno Mamadou Gaye l’Imam du village prêche sans relâche dans une éloquence dont lui seul a le secret les versets saints qui conduisent et invitent les fidèles les plus septiques  à choisir le bien à la place du mal en vue de  trouver  la voie  menant vers de Dieu et son prophète . Il détient avec Thierno Amadou Thierno Sarr les deux plus grandes  écoles coraniques où  beaucoup de  « Samba Diallo » viennent psalmodier leurs premiers verset du livre  Saint.

Des champs de riz, de mil, et de maïs  encerclent le village de part et d’autre tandis que la patate et la tomate prennent place sur la  berge après que le fleuve ait terminé son retrait et charrié son limon sur les terres inondées. Cette espace qui se libère des eaux appelait « Palé » et le véritable « palais » des femmes du village spécialistes de cette culture étagée et génératrices de revenus conséquents pour soutenir et aider leurs maris dans  la recherche de la dépense quotidienne

Face aux « palé » et à  quelques pagaies de là sur l’autre rive se trouvait  face à lui sa réplique, son  jumeau de la Mauritanie : Dounguel Réwo ; petite de taille mais fertile et dense de par son histoire et son influence, pas besoin d’aller chercher loin ici comme partout ailleurs sur le long de la vallée le colon à réussi à utiliser le fleuve pour mettre la même famille, le même peuple  dans deux pays différents

La pêche reste quant à elle un domaine réservé par excellence aux Dounguelois, qui a acquis dans ce domaine un savoir et un savoir-faire spécifique au point que l ‘activité  à créer  chez lui par feed back  des traits de caractère moraux  bien typés. Le fleuve qu’il a conquis et dompté lui a livré tous ses secrets ; et c’est fort de ces acquis qu’une relation mythique et mystique s’est tissée, brodée et nouée en nœud gordien entre le fleuve et le Dounguelois

Dans cette symbiose ou plutôt dans ce rapport en sa faveur exclusif , la nature n’a pas été  toujours clémente. Les perturbations climatiques ont eu ici aussi des répercussions calamiteuses. Certaines espèces de poissons se sont raréfiées ou ont disparu au grand désespoir de Dialtabé, ce devin et gardien du grenier liquide. Aussi, la production piscicole a fortement chuté et le capitaine du fleuve, symbole des grands jours qui ornaient le repas du pêcheur, s’est envolé vers les calendes grecques.
                                                             
           
A l’est, s’étendent les cimetières  près de la mythique et mystérieuse place « Diamelwoysi » .L’histoire raconte que Woysi Délo Boubou arrière petit fils de Mbagny l’un des deux fondateurs du village, un guerrier hors norme  y avait établit son quartier général et refusait  systématiquement d’entrer dans le village à chaque retour de bataille. « Diamel », petit tamarinier en français, remplacé aujourd’hui par un monument est le lieu où Woysi et son armé cachaient les talismans et des tam-tams dont le seul son  garantissaient  la victoire aux combats. Après avoir conquis plusieurs terres Woysi décida d’enfouir son arsenal mystique au pied de ce tamarinier pour protéger à jamais le village contre toute attaque. Depuis plusieurs siècles déjà, « Diamelwoysi » est devenu le passage obligé de tout nouveau « Téne » (titre que porte le chef de village) pour faire sa prestation de serment. Le « Téne », quel qu’il soit ,pour être autorisé à démarrer son mandat doit faire sept fois le tour du tamarinier jurant de remplir fidèlement la charge de chef du village prouvant par là que le mode de gouvernance actuel en Afrique n’est forcément pas toujours importé de l’occident . Le dernier à perpétuer cette coutume est l’actuel et 35ème chef du village Téne Amadou Racine Gaye, un jeune bachelier au trône depuis 2006
En tout cas le village de Doungel, à hérité de ses aïeuls une structuration et une organisation socioculturelle particulièrement réfléchie qui a permis de garantir la paix social depuis sa création.
Mbagny et Moussé deux frères de même mère et de même père ont fondé avec leurs deux neveux Samba Ndiaye et Thioumou Thiam le village vers le 15ème siècle. Une fois l’installation terminée après plusieurs batailles avec les populations autochtones trouvées sur les lieux, la couronne est confiée à Moussé et sa descendance appelé « Tane Moussé », après   que le « Gallé Boubou » descendants  de Mbagny en véritable « conseil constitutionnel » ait validé et légitimé  le candidat proposé. Les Ndiayes prennent le titre de « Diarno », après avoir été choisi par le « Téne » et couronné par « Gallé Boubou» assurent la flottille et l’administration du port  durant tout le mandat de celui qui lui a nommé. Les Thiam descendants de  Thioumou sont les maîtres de cérémonie et propriétaires de tout produit perdu dans le fleuve. Les Sy détiennent la plus importante des « Palés » une large surface agricole appelé « Naycone » près de Cas-Cas d’où  ils sont originaires
En véritable stratège, les fondateurs ont invités les « Dièyes » véritables magiciens du fleuve et les Sarr pour leurs connaissances mystiques   à se joindre aux habitants.
   Le nom  Gaye, que porte 95% de la population du village en  est  sa marque déposée et son logo.


Dounguel ,ou Samaré de son autre nom, comme du reste sur  tout le long de la vallée qui a vu naître Baaba Maal et tant d’autres artistes, est une école ambulante et un creuset de la culture et de l’art qui ne sont en faite qu’une partie intégrante de la formation de « l’homo- ilamorfilien ». 

Alors on ne peine point à trouver le plus petit enfant qui puisse  danser aussi bien qu’il caresse le tam-tam ou joue sur les  cordes d’une guitare. Depuis toujours le village a répondu  présent au rendez-vous du donné et du recevoir de la culture Pulaar : de Mama Gaye Abou du Dandé Léñol à Ali Sy de la fameuse émission superstar qui s’apprête à mettre son premier album « séhil » sur le marché en passant par Saikou Ndiaye compagnon de l’artiste Djiby SALL aucun orchestre Pulaar n’a pu résister au talent des artistes du  village


Dounguel c’est aussi un état d’esprit, un mental de compétiteurs  qui a permis à son ASC de faire une razzia sur tous les tournois organisés dans la zone  le  palmarès est éloquent est se passe de commentaire : finaliste 2003 , 2008 et 2011, vainqueur 2004, 2005, 2006,2007. La génération à Ablaye Sy ancien capitaine de l’équipe de football de la police, secondait par la génération à Baidi Sicka Gaye  ,Ablaye Diallal , Omar GAYE et de James Thiam ont incontestablement marqué de leur empreinte le football de toute l’Ile A Morfil

Cependant, à l’instar de toute l’Ile Dounguel reste cloué fixé au sol et freiner dans son envol vers l’émergence  par un déficit criard de d’Investissement de la part de l’état : l’enclavement qui ne trouve pas encore de solution, l’électrification rurale pas encore effective, la couverture médicale et la formation professionnelle inexistante sans être exhaustif, constituent  des facteurs limitant   la  production. Et c’est sans gêne aucune, que c’est populations sénégalaises, isolées et totalement  à part, se tournent du côté de la Mauritanie voisine pour s’assurer du minimum vital 

Adama Gaye
        

vendredi 29 novembre 2013

Emigration : L’or noir du Fouta



Qu'allait devenir le Fouta sans l'émigration ? Un simple désert aride, chaud et sec où il ne fait pas bon à vivre ? En tout cas, l'apport des émigrés à transformer le visage de cette partie du Sénégal où il manquait de tout. Avec un État quasi absent, des ressources inexistantes ou mal exploitées, la région de Matam ne compte que sur l'émigration, pour s'en sortir. L'émigration, est en quelque sorte l'or noir du Fouta.


Des maisons en banco aux R+2
Située à 693 km de Dakar, Matam était une bourgade agricole. En amont, le visiteur pouvait remarquer les bâtiments coloniaux abritant différents services administratifs (dont la Préfecture). En aval, il était aisé de se perdre dans les dédales de ruelles bordées de maisons en "banco", notamment dans le quartier Soubalo (des pêcheurs).
Mais depuis plusieurs années, le paysage architectural de cette ville devenue en 2002, capitale régionale, s’est métamorphosé. A l’instar de plusieurs villes et villages comme Ourossogui, Kanel, Thilogne, Bokidiawé, Ododéré, Waoundé, Denmbakani etc., les grandes bâtisses de plusieurs pièces en banco, les toits plats sans couverture et les petites fenêtres qui convenaient à cette région fâchée avec la pluie, en proie avec des températures torrides dépassant dans la journée 40°C, ont cédé la place aux R+.

Aujourd’hui, on observe en effet trop souvent la mégalomanie des nouveaux riches qui érigent à la place des maisons en banco ou des cases en paille, des villas à la grecque, à l’image de celles qui se dressent dans la capitale, Dakar. Un signe extérieur de richesse qui se matérialise dans un environnement physique marqué par la pauvreté.
Ibrahima Bâ, jeune diplômé au chômage d’apprécier : «Vous n’avez plus besoin de demander si une famille est aisée ou pas aujourd’hui dans les villages. Ici par exemple, à Ourossogui, tous les hôtels, les plus belles villas, les plus grandes voitures appartiennent à des émigrés ou d’anciens émigrés. C’est un signe extérieur de leur richesse qu’ils montrent avec ses avantages et ses inconvénients.

Un de ses camarades s’invite au débat : «Je pense que c’est une bonne chose. Les maisons en banco, même si elles sont moins chaudes que ces bâtiments en dur, elles ne résistent pas aux effets de la pluie et à l’érosion. Et elles ont beaucoup contribué à la déforestation de notre environnement».
Puis, élevant le ton : «que voulez-vous ? Que nous continuons à vivre comme au moyen âge avec des cases en paille qui prennent feu à chaque fois que le vent souffle ? Non, nos émigrés ont bien fait de se battre pour changer le visage de nos villes et villages».

Ce qui est plus ou moins évident, c’est qu’Ourossogui n’a plus rien à envier à Dakar. Ou du moins sur le plan de l’habitation. Avantagée par sa position géographique avec les Nationales 2 et 3 qui se croisent, cette ville cosmopolite se développe à une vitesse exponentielle. Halpoulars, Wolofs, Sérères, Soninkés, toutes confréries confondues y ont élu domicile, notamment dans le village de Sogui.

Ils construisent de gigantesques villas grâce à l’argent gagné en Europe, aux Etats-Unis ou le plus souvent en Afrique (Angola, Rd Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale…). Même si elles ne correspondent absolument pas à l'harmonie et à l'art de vivre africain. Le jardin, jadis élément traditionnel dans la concession foutankaise est absent.
«Le comble, relève mon chauffeur de clando, c’est que j’ai vu un gars qui est en train de construire un immeuble avec un souterrain. C’est du gâchis ! Moi, je croyais qu’on construisait des étages par manque d’espace. Mais, ici à Ourossogui, les autorités délivrent les permis de construire à l'emporte-pièce. Ils ne se soucient guère des considérations esthétiques».

Peu importe, confie un Francenabé, comme on les appelle ici, à la retraite. «Ce qui est recherché, c’est de montrer ostensiblement une réussite acquise avec difficultés». En quelque sorte, c’est une «revanche sur la société», argue-t-il, parce que «la plupart des étages sont construites par des gens qui ne savent ni lire ni écrire. C’est grâce à l’émigration qu’ils ont droit au chapitre. Dans le Fouta d’aujourd’hui, ils sont devenus incontournables. Rien, je dis bien rien, insiste-t-il, ne se fait ou ne peut se faire sans leur bénédiction».
Et Mamadou Sall de préciser : «Les écoles, les maternités, les postes de santé, les forages, les mosquées, leur entretien, tout cela, ce sont, nous, les émigrés qui l’avons mis ici».

Quid de la chaleur sous ces affreux ensembles urbains, dans une ville à démographie galopante, notre interlocuteur répond : «dites moi, où est ce que vous avez vu une seule villa qui n’a pas de climatisation ?». «Tant que Dieu, nous donnera les moyens de vivre aisément, nous n’allons pas nous priver», souligne-t-il, avant de s’engouffrer dans sa 4X4 noire teintée, sous le regard des enfants talibés, postés devant sa demeure à la quête d’une pitance.
Ces maisons coexistent avec des cases constituées de murs en paille ou en tige de rônier. Mais, c’est loin d’être la volonté de leurs propriétaires. Tous rêvent d’ « avoir un jour, un enfant en France ou ailleurs ». La raison tient au fait que ; « Actuellement, si vous n’en avez pas, vous aurez dû mal à survivre». Car, poursuit, Coura Kane, qui se veut lucide : « c’est l’émigration qui permet aujourd’hui d’avoir une vie digne».
42 milliards de F Cfa d’envois par an

«Depuis que j’ai été refoulé après ma deuxième tentative pour entrer en Europe, les gens me fuient comme si j’avais la peste. Je suis devenu un paria, un intouchable dans mon village. Je n’ose même plus envoyer les neveux à la boutique ou encore tenter de demander la main d’une fille, fut-elle membre de la famille».
C’est le poignant témoignage d’Oumar, le calvaire qu’il vit dans son village natal, pour n’avoir pas atteindre les côtes espagnoles et tenter sa chance quelque part en Europe.

La cigarette à la bouche, les yeux rouges de colère, il est visiblement resté plusieurs jours sans se regarder dans la glace. Mais peu importe. Il semble perdre le goût de la vie. Son baccalauréat, il s’en tape. L’objectif, c’est d’atteindre l’Eldorado. Comme Demba, le fils de Mamadou et Coumba, afin que sa famille puisse elle aussi respirer et brandir des euros comme tout le monde à la fin de chaque mois.

Ici au Fouta, il est bien d’étudier, mais pour réussir, il faut, dit-on, impérativement quitter le Sénégal que les jeunes appellent Djolof. Une des chansons de Baaba Maal traduit parfaitement cet état d’esprit. «So bobo yoonti yoo yillo» (Un jeune doit sortir de sa contrée pour mieux connaitre ce qui se passe dans le reste du monde), dit l’artiste. Si l’objectif du lead vocal du Dandé Lenol (la voix du peuple), était d’inciter les jeunes à s’ouvrir tout en restant enracinés, l’entendement qu’ils en ont est tout autre.

On reconnait d’ailleurs facilement les familles aisées à travers la construction communément appelés «terrasses». Le signe de richesse se reconnait désormais par le surgissement des maisons à étages. L’espace, les Foutankés en disposent. Mais, les immeubles, c’est à la mode. C’est désormais l’environnement physique qui détermine le niveau social.
Les immigrés sénégalais en France, originaires de la Vallée du Fleuve, ont envoyé en trois ans de l'argent à leurs familles restées au pays à travers des «réseaux clandestins», pour un montant équivalent à 127 milliards de francs CFA, selon une étude sociologique, soit un peu plus de 42 milliards de FCFA par an.

«Pendant trois ans, nous avons surveillé 49 fax clandestins et cela représente 127 milliards de francs Cfa d’envoi d’argent dans la seule Vallée du Fleuve Sénégal», avait indiqué Mamadou Dème, sociologue sénégalais établi en France. «J’ai fait une étude sur l’épargne des migrants depuis bientôt trois ans. Nous avons surveillé non pas les structures officielles comme Western Union, mais ce qu’on appelle les fax clandestins», avait-t-il affirmé à Paris au cours d’une conférence sur le thème «Les accords Wade - Sarkozy, enjeux et dangers pour l’immigration africaine», organisée par les jeunesses socialistes du Sénégal en France.

Dans la région de Matam, les envois s’organisent autrement. En plus des systèmes de transfert (Western Union, MoneyGram, Money Express, Hawala, fax), des immigrés reviennent à tour de rôle en emmenant avec eux des milliers d’enveloppes remplies de liasses.
A défaut, leurs représentants au niveau de Dakar reçoivent l’ensemble des envois en devises (euros ou dollars) pour les reconvertir en F Cfa.

Là également, l’objectif est de «contourner» les 2 % que les banques sénégalaises prélèvent au moment du change. Pour les petites coupures de billets de 5 à 10 euros, l’intermédiaire échange l’unité contre 650 F Cfa alors que les grandes coupures de 50, 100 voire 500, les plus prisées au marché noir, sont revendues à 660 voire 670 F Cfa.
Plus la coupure du billet est grande et la somme importante, plus la marge de l’intermédiaire est grande.
Ces intermédiaires ont fini par établir des bureaux de change dans les marchés notamment à Sandaga (rue Tolbiac X Grasland) et aux HLM, où ils traitent directement avec les grands commerçants sénégalais et libanais.

Un intermédiaire originaire de Bokidiawé confie d’ailleurs que “échanger des devises est mon nouveau boulot. Je gagne plus sans trop me fatiguer alors que dans mon ancien job, -cireur- j’avais du mal à épargner de l’argent. Maintenant, je parviens à épargner un peu… Même si je rentre au village, je fais tout pour être à Dakar le 1er de chaque mois. Je récupère les devises envoyées par les immigrés. Je les convertis en Francs Cfa avant d’envoyer l’argent au village. Je traite avec les Libanais qui aiment beaucoup les euros. Ils les utilisent pour acheter leurs marchandises“.
“Souvent, poursuit-il, nous faisons de la spéculation en déclarant qu’il n’y a pas assez d’euros sur le marché. Ce qui fait que le taux de change peut atteindre 675 FCFA pour les billets de 100 voire 500 euros. Avec ce nouveau boulot, j’arrive à payer mon loyer, à envoyer de l’argent au village pour ma famille et épargner un peu de sous“.
Les envois de fonds officiellement enregistrés à l’échelle mondiale en 2005 ont dépassé 232 milliards de dollars US dont 167 milliards à destination des pays en développement.

Soit plus du double du montant de l’aide au développement, toutes sources confondues.
Il ressort également des perspectives économiques mondiales 2006 que des envois de fonds empruntant des circuits informels pourraient atteindre des montants au moins égal à 50 % des estimations officielles. Les envois de fonds constituent ainsi une importante source de revenus pour les ménages, ou pour le bénéficiaire, représentant jusqu’à 40 % ou plus du revenu de ces ménages.

En moyenne, les transferts sont de 200 dollars US et varient de 100 à 1000 dollars US.
Pour ce qui est du Sénégal, la Banque Mondiale estime que le montant total des envois de fonds en 2001 a atteint 127 milliards de F Cfa soit 195 millions d’euros. Mais ce chiffre devrait être le triple de ce montant. Ceci, si on y ajoute les transferts par voie informelle.
Waoundé, la commune des émigrés

Sans le Nil, l’Egypte serait un désert. Mais sans les immigrés, le Fouta allait peut-être mourir de sa belle mort. Dans cette région Nord du Sénégal, les immigrés réclament la paternité de presque toutes les infrastructures.
Les mosquées, les postes de santé, les maternités, les forages, les écoles, les collèges et les lycées ont été tous construits grâce aux associations des immigrés.
Une situation que l’on retrouve partout au Fouta. Ici, ils sont considérés comme des stars, des sauveurs, des idoles à imiter pour leur engagement à sortir leur zone de l’ornière.
De tous les villages, il y en a un qui a une particularité grâce à sa richesse isolante. Cette bourgade du Dandé Mayoo, est devenue une commune grâce à la puissance financière de ses émigrés qui ne lésinent pas sur les moyens. Ici, la solidarité est le maître mot.

Ce qui explique d’ailleurs, la création de l’Association pour l’Education, la santé et le développement de Waoundé (AESDW). Pour lutter contre les contrecoups de la crise mondiale, les immigrés de France ont mis en place un grand magasin qui emploie cinq personnes.
Ainsi, chaque famille, sur présentation d’un bon, peut bénéficier d’un ravitaillement d’un mois qu’un membre de sa famille resté en France va directement payer au trésorier de l’Association. Les prix sont bon marché parce que l’Association interdit aux boutiquiers de faire des bénéfices.
Du pouvoir économique au pouvoir politique

Jamais dans l’histoire électorale du Sénégal, l’apport des immigrés n’a été aussi déterminant que lors de la présidentielle du 25 février dernier.
Face au substantiel trésor de guerre dont disposait le chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, les immigrés du Fouta s’étaient transformés en véritables bailleurs de fonds de la campagne du candidat Macky Sall.

Irrité par le soutien des immigrés de la trempe d’Abdoulaye Sally Sall, Harouna Dia, Amadou Konté, Khalilou Wagué, entre autres, l’ex-président de la République avait déclaré que ces dignes fils du Fouta n’avaient rien fait dans la zone.
Ce qui avait soulevé un tollé et braqué davantage certains d’entre eux qui pourtant étaient équidistants de la chose politique. Le résultat a été sans appel. Alors que de Léopold Sédar Senghor à Abdoulaye Wade en passant par Abdou Diouf, Matam s’était toujours singularisé par un vote pour le parti au pouvoir, voilà qu’en 2012, le «Ndiguel» des immigrés a fait très mal au candidat de la coalition des Fal2012. Les quatre ministres du Fouta n’ont pas pu contrer la révolte des immigrés décidés à porter au pouvoir Macky Sall.

C’est dire que ces Sénégalais établis à l’extérieur jouent un rôle extrêmement important dans cette partie nord du pays. L’influence prêtée à Harouna Dia, principal bailleur de Macky Sall, poussent d’ailleurs certains à déclarer à tort ou à raison qu’en plus du pouvoir économique, les immigrés ont désormais le pouvoir politique.
Le premier bailleur de l’Afrique, ce sont ses fils

La banque mondiale et le Front monétaire international (FMI) sont loin d’être les principaux bailleurs de l’Afrique. C’est du moins la conviction du représentant résident régional de la Banque africaine de développement (Bad), Bureau régional du Sénégal. Selon le Marocain, Mohamed H’Midouche, “le rôle que joue la diaspora est très important“. “Il suffit pour s’en convaincre d’avoir une idée de ce qui passe dans des pays, comme Sénégal, le Mali et le Maroc“, relève-t-il, en s’appuyant sur une étude de la Banque africaine de développement.
Sur les transferts des immigrés africains, précise-t-il, “il importe d’abord de souligner que les données sont extrêmement rares. Plus de 2/3 de l’Afrique subsaharienne ne dispose pas de données sur les envois des fonds effectués par les travailleurs migrants“.

Mais, selon les indicateurs préliminaires d’une étude récente effectuée par la Banque africaine de développement (Bad), “la diaspora africaine envoie chaque année 17 milliards de dollars dans leur pays d’origine“.
Cette même étude révèle que “les coûts de transferts d’argent sont trop élevés. Ils représentent 19 % des montants des transferts et qu’il faut tout faire pour réduire les coûts des transactions“.
Ce qu’il faut aussi relever, note Mohamed H’Midouche, “c’est que le montant des ressources financières reçues au titre des envois des fonds dépassent celui de l’Investissement direct étranger (IDE) et celui de l’Aide publique au développement (APD)“. Ce qui lui fait dire que “le premier bailleur de l’Afrique, ce sont ses enfants“.
Ce ne sont donc pas les bailleurs de fonds, encore moins les investisseurs directs internationaux, insiste-t-il.
Dans les villages de Waoundé, de Thiemping, d’Odobéré etc., tous les financements, tous les investissements ont été obtenus grâce à l’apport des immigrés. Leur “développement“ n’a été possible donc possible que grâce à l’émigration.
Au Sénégal, les fonds envoyés par les travailleurs migrants constituent 218 % de l’APD. Certaines estimations de la Banque mondiale prévoient que le “montant global de transfert de fonds des émigrés à destination des pays du Sud atteindra 200 milliards de dollars à l’horizon 2020“.
L’émigration d’hier à aujourd’hui

La sécheresse des années 70, avaient poussé les jeunes du Fouta à migrer vers le bassin arachidier ou dans d’autres capitales régionales. C’est cette recherche des cieux plus cléments qui avait poussé certains d’entre eux à aller en Europe qui avait aussi besoin d’une main d’œuvre.

Mais, rejoindre le vieux continent est devenu un vrai parcours du combattant. «A l’époque, on pouvait avec 300.000 FCFA voire 400.000 FCFA partir en France. Mais, aujourd’hui, nous casquons plus de 4 millions pour partir», témoigne Moussa Ly.
Or, ajoute-t-il, «ce n’est pas évident d’économiser une telle somme pour faire venir son frère ou son cousin. Les temps ont changé. C’est pourquoi, je pense que les gens devraient penser à créer des entreprises».
Saïdou Guissé ajoute : «l’autre problème, c’est la régularisation. Dans les années 80, surtout avec l’élection de François Mitterrand, beaucoup d’entre nous se sont vus proposer la nationalité française. Certains ont même refusé et ont préféré rester Sénégalais (fierté oblige !) et se contenter d’une simple carte de séjour».
«C’est là que nous, les Halpoular, avons manqué de vision. Les Soninkés (Sarakholés) eux, ont été tous naturalisés. Leurs enfants ont tous la nationalité française. Contrairement à nous. Nous sommes à la retraite et ne pouvons pas faire venir nos enfants à moins de payer des millions à des convoyeurs souvent véreux».

Seulement, relève-t-il, «là, aussi, ton fils peut rester pendant une décennie cloitré dans les foyers, sans travail, parce que tout simplement, il ne dispose pas de papiers. Pis, à l’époque, les Français ne faisaient pas la plonge ou des métiers d’éboueur. Mais, ce n’est plus le cas. En plus des Français, la crise a touché d’autres pays d’Europe».
«Toutefois, comme l’avait si bien dit Alpha Oumar Konaré (ancien président de la République du Mali, Ndlr), ils (les Occidentaux), peuvent électrifier l’Océan atlantique, mais, ils ne pourront jamais arrêter les flux migratoires», relève-t-il, dépité par les mesures draconiennes prises par l’Union européennes pour contrôler la circulation des frontières. «Au Fouta, il n’y a rien. L’agriculture ne marche pas. Vous avons vu tout le long de la route, des tonnes d’oignons, de patates douces qui sont bazardées dans des loumas, le riz de la Vallée, les tomates et la problématiques de la transformation et de sa conversation», déplore un ingénieur agricole à la retraite.

«Nous sommes des laissés-pour-compte, ajoute-t-il. Nos hommes politiques n’ont aucune valeur sinon, venir ici, tromper leur propres parents pendant les périodes de campagne électorale avec leurs sacs de promesse. Ce n’est pas avec Abdoulaye Wade que Matam a connu des ministres. Les autres n’ont rien pu faire. Mais, nous n’oublierons jamais ce qu’il a fait pour nous sortir de l’enclavement. La route Linguère-Matam, c’est lui qui l’a commencé. Les trois ponts c’est encore lui. La route Ballel-Matam, c’est encore lui. Le pont de Madina Ndiatmé, c’est Wade». «Nous voulons du concret avec Macky Sall. Qu’il soit Halpoular ou Sérère, ce n’est pas notre problème. C’est seulement le développement de notre zone qui nous intéresse. C’est tout», fulmine, Vieux Camara communément appelé l’Allemand.

jeudi 28 novembre 2013

Electrification rurale - Un conseiller technique du ministre de l’Energie le déplore : Le Sénégal en deçà des objectifs

Le conseiller technique du ministre de l’Energie et des Mines, Daniel Sarr, a déploré hier, le faible taux d’électrification rurale du Sénégal dont les résultats en la matière sont en deçà des attentes des autorités. M. Sarr s’exprimait lors d’une journée de consultation publique sur le projet de règlement de service  pour la concession de l’électrification rurale des  départements de Dagana, Podor et Saint-Louis organisée par la commission de régulation du secteur de l’énergie.
S’exprimant au nom du ministre de l’Energie et des Mines, Daniel Sarr a déploré la faiblesse des résultats obtenus au Sénégal dans le programme d’électrification rurale. «Les réformes engagées par le gouvernement visaient à ouvrir le secteur de l’électrification aux privés pour attirer les financements. Plus de 10 ans après, force est de constater que les résultats sont largement en deçà des attentes… le taux d’électrification est encore trop faible», a fait remarquer le conseiller technique du ministre.
 Pour M. Sarr,  le démarrage du projet  de la compagnie maroco-sénégalaise d’électrification  (Comasel) choisie après appel d’offres internationale pour assurer l’électrification des zones rurales de ces départements est très attendu. Toutefois, le point de vue de M. Sarr n’a pas été partagé par la présidente de la commission de régulation du secteur de l’électricité.
Mme Maïmouna Ndoye Seck pense que pour avoir amené le taux d’électrification rurale de 5% en 2000 à 20% en 2012, les autorités sénégalaises ont réalisé une avancée significative. «L’électrifi­cation rurale est une nouvelle approche et les nouvelles approches peinent à se mettre en place», a noté Mme Seck qui a aussi souligné l’importance de la consultation publique, qui doit permettre à l’institution qu’elle dirige de donner au ministère de l’Energie un avis fondé, en tenant compte des observations des associations de consommateurs après une large discussion et des échanges avec l’opérateur sur les grandes lignes de son projet. Selon elle, le projet de règlement de service est un document qui intègre les relations entre cet opérateur et ses clients et doit donc prendre en compte les préoccupations des populations, avant d’être approuvé par le ministre de l’Energie.
Dans la même lancée, les associations de consommateurs ont affiché leur volonté de tout faire pour que ce projet soit bénéfique pour les populations de la zone rurale. «Nous allons tout faire pour que les populations aient du courant et que ce courant ne leur soit pas facturé de sorte qu’elles ne puissent pas s’y retrouver. Il ne sert à  rien de trouver des solutions et que leur pouvoir d’achat ne leur permette pas de payer leurs factures», a souligné Seynabou Diallo représentante de l’Entente nationale des associations de consommateurs.
Le  projet de règlement de service qui faisait l’objet de cette consultation publique devant permettre son adoption définitive par le ministère de l’Energie est l’un des derniers actes vers l’électrification rurale de la région de Saint-Louis par la Comasel. Cette dernière, aux termes du contrat qui la lie à l’Etat, doit procéder à l’électrification de 19 574 foyers dans 156 villages, pour un coût global de 12 milliards de francs Cfa, soit par le réseau thermique ou par le système photovoltaïque.

Braquage de la Mutuelle d’épargne et de crédit de Dodel : La gendarmerie met la main sur la bande

La légion nord a mis la main sur six personnes qui seraient les présumés braqueurs de la Mutuelle d’épargne et de crédit de Dodel. Ce jour-là, elles ont réussi à emporter plus d’un million de francs Cfa.
La légion nord de la gendarmerie a réussi un coup de filet dans le Fouta. Elle a mis la main sur une bande de six personnes qui seraient les présumés braqueurs de la Mutuelle d’épargne et de crédit de Dodel, village situé dans le département de Podor. Ce jour-là, ils auraient réussi à emporter la somme de 1 million 35 mille francs Cfa. Abdoul Aziz Kandji, commandant de la brigade de gendarmerie de Saint-Louis, informe que le cerveau présumé de la bande a été arrêté depuis lundi à Agnam Thiodaye (département de Matam). De nationalité mauritanienne, il passera rapidement aux aveux  devant les gendarmes.
Cette arrestation a permis de mettre la main sur le reste de la bande qui s’était dispersée à travers plusieurs villes situées entre les régions de Matam et de Saint-Louis. L’un sera cueilli au croisement de Médina Ndiathbé et les autres à Richard Toll et Ourossogui. D’après l’adjudant-chef Kandji, les présumés braqueurs ont des casiers judiciaires chargés. D’ailleurs, ils se sont tous connus à la Maison d’arrêt et de correction de Saint-Louis où ils purgeaient différentes peines de prison.
Cette arrestation va permettre aux populations de se tranquilliser après la série de braquages opérés dans la zone. Aux yeux de la gendarmerie, ils seraient les auteurs de ces différentes opérations. En tout cas, ils n’ont pas froid aux yeux : Dans la nuit au 14 au 15 septembre, ils ont réussi à faire irruption dans la Mutuelle d’épargne et de crédit de Dodel vers 3 heures du matin. Armé de coupe-coupe et d’une arme à feu de fabrication artisanale, ce groupe de cinq personnes a réussi à neutraliser le gardien et le caissier. Ligoté, ce dernier sera ensuite blessé à l’œil droit à l’aide d’un coupe-coupe. 
Ils ont défoncé, d’après la gendarmerie, le coffre à l’aide de leur matériel de braquage composé entre autres de pinces et d’arrache-clous pour s’emparer de la somme de 1 million 35 mille francs. Ce montant devait servir au financement des activités commerciales du louma prévu le lendemain dans ce village connu pour le dynamisme de son marché hebdomadaire. Peinards, les présumés braqueurs se sont partagé le butin avant de se fondre dans la nature. Alertée, la gendarmerie se déploie sur toute la zone pour traquer les délinquants en procédant à la mise en place d’un pool d’enquêteurs. L’expertise de la Section de recherche de Dakar est mise à contribution en même temps que les brigades de Richard Toll, de Ndioum et de Pété. Le quartier général est installé à Ndioum. De fil en aiguille, toute la bande est arrêtée avant d’être déférée au Parquet de Saint-Louis pour braquage.

mercredi 27 novembre 2013

Encore une Suz ânerie ,typologie du futur politichien

Grand Dossier: Cheikh Moussa Camara de Ganguél Soulé ,le marabout ,l'anthropologue,l'historien oublié par l'histoire



Haut lieu culturel de l’Islam en l’Afrique, Ganguel Soulé aurait pu rester de nulle part si l'enfant du pays, le Cheikh Moussa Kamara, n’avait été l’un des grands marabouts érudits de son temps.
Toutefois ce village emblématique de l’Afrique profonde se tient malgré lui à distance des routes de transhumance touristique et sa population loin des zones de développement.

Ganguel Soulé ne figure sur aucun guide touristique.
Situé en marge des grands axes de transhumance, il pourrait pourtant offrir aux amateurs d’espaces vierges de toute pénétration des technologies du XXIème siècle l’occasion de se plonger au coeur d’une Afrique profonde et restée vraie,afin de bénéficier d’un dépaysement total dans la mesure où ce village d’environ 5000 âmes ne dispose ni de l’électricité, ni du téléphone. L’eau (non potable) n’est accessible qu’aux puits et, autre handicap majeur, il n’existait jusqu’alors aucune des infrastructures d’accueil indispensables au développement de l’activité touristique si ce n’est celle de résider chez l’habitant, certes très accueillant,mais qui n’aurait à proposer qu’un confort très aléatoire et réputé primaire (1).Bref ce village et les villages environnants restent depuis la nuit des temps en marge de la civilisation et de l’économie de marché, car pour rejoindre Ganguel Soulé depuis la RN 2 il faut emprunter une piste de brousse, récemment "aménagée", et parcourir la dizaine de kilomètres qui sépare le village de Hamady Ounaré, avec comme autre difficulté le franchissement d’un gué impraticable durant la saison des pluies si ce n’est en pirogue ! Ceci expliquant en partie que Ganguel Soulé et la totalité des villages environnants comptent un nombre important de migrants, essentiellement vers la France. selon Kalidou Kane,auteur d’une étude sur cet encyclopédiste hors pair du XXème siècle que fut le Cheikh Moussa Kamara. Voilà pour la face Lumière de ce coin de l’Afrique profonde.Côté Ombre, les deux jours de cérémonies terminées, Ganguel Soulé, depuis des lustres, se retrouve confronté à un sous-développement économique endémique, isolé aux confins de la Mauritanie et du Mali, et "oublié" du pouvoir central et régional.Ganguel Soulé mériterait pourtant le détour pour celui souhaitant découvrir l’âme d’un peuple et s’imprégner du vrai visage de l’Afrique au travers de ses ombres et de ses lumières.
Terre d’Islam
La communauté scientifique et religieuse tant nationale qu’internationale reconnaît aujourd’hui devoir énormément à ce grand marabout, le Cheikh Moussa Kamara,producteur génial et fécond,auteur d’une impressionnante,riche et diversifiée collection d’ oeuvres constituée d’une cinquantaine d’ouvrages dans des domaines différents (astrologie, anthologie, ethnologie, jurisprudence, soufisme, médecine, histoire,géographie,économie,mysticisme et théologie,anthropologie, littérature et poétique, politique et démocratie, morale et éthiques sociales etc) dont une bonne part a été généreusement offerte de son vivant à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (I.F.A.N).Il fut d’ailleurs l’un des premiers écrivains africains a être accueilli dans cette assemblée. C’était le 1er avril 1913.
Cet enfant prodige du Fouta, né en 1864 à Gouriki Samba Diom, dans le Damga, est décédé à quelques encablures de là, à Ganguel Soulé en 1945 où il s’était installé pour mener sa carrière d’écrivain.
L’illustre Cheikh Saad Bouh fit de lui un Cheikh vers 1886 après qu’il eut mené une trentaine d’études auprès des plus grands maîtres de l’époque au Fouta (Sénégal),en Mauritanie,et fait des voyages d’études au Fouta Djallon, en Guinée, au Mali. "Durant sa longue et riche vie (décédé à 81 ans), il a cultivé au plus haut niveau le culte de l’amitié, sans préjugés de race, de condition sociale. Son œcuménisme et sa tolérance religieuse légendaires sont consacrés dans son œuvre polémique magistrale, avec comme titre gratuit en français La Vérité éclatante.
Il y a combattu l’extrémisme religieux de certains marabouts tidjianes de son temps qui persécutaient leurs coreligionnaires khadres. C’est avec une profonde conviction qu’il représentera sur demande de son ami, Seydou Nourou Tall, la communauté sénégalaise à l’inauguration de la cathédrale de Dakar, en 1935 souligne Kalidou Kane. Celui- ci rapporte une citation d’un arabologue émérite de la période coloniale, Paul Marty, reprise par feu Amar Samb de l’ I.F.A.N ,dans sa thèse de doctorat d’ État Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe. Si on comparait ce Cheikh avec dix savants du Sénégal,il l’emporterait sur eux".

Selon cet éminent chercheur sénégalais, dépositaire des oeuvres du saint homme en 1944, . Les démarches participatives empruntées à l’heuristique étaient privilégiées par rapport à la mémorisation passive des connaissances
Ses grands disciples étaient rompus bizarrement aux méthodologies de recherche conformes aux canons de la recherche scientifique contemporaine .Parmi ceux-ci,sont cités Seydou Alpha Bâ,père de El Hadji Mamadou Seydou Bâ,premier khalife de Madina Gounass.
Moussa Kamara leur a inculqué le goût de la documentation qui n’avait pas de prix à ses yeux et les associait à ses recherches dans toutes les phases de conception et de réalisation de ses oeuvres dont l’une des plus notables est le Zuhür al-basatin fi Tarikh al Sawädin ou Florilège au Jardin de l’histoire des Noirs, collection monumentale d ’oeuvres à caractère historique ethno-antropologique des Noirs de la vallée du fleuve Sénégal depuis l’origine jusqu’aux années 1920, date du début de cette étude. Le volume 1,sous la direction de Jean Schmitz (CNRS-EHESS) L'Aristocratie peul et la révolution des clercs musulmans a été publié aux Éditions CNRS à Paris.Trois tomes restent à traduire.Autre ouvrage de L'Enfant prodige de Ganguel, Les Vertus médicinales des plantes existantes dans l’environnement du Fouta et du Sénégal (ouvrage de pharmacologie).
D’autres ouvrages ont été traduits en français : La vie d 'El Hadji Omar , la condamnation de la guerre sainte etc. Ces oeuvres ont fait également l’objet de thèses d’Etat et de publications lors de colloques nationaux et internationaux par d'éminents chercheurs et professeurs d’université du Sénégal (Amar Samb,Abdoulaye Bara Diop,Abdoul Malal Diop, Moustapha Ndiaye….), de France (Jean Schmitz, Charles Beker, Constant Hamès, Pierre Bonte, Saïdi Bousbina…) des États-Unis, notamment l’université de Michigan avec David Robinson pour ne citer que ceux-là.
Le mausolée du Cheikh Moussa Kamara, inaugurée en mai 1999,a été classé en 2003 monument historique. Une bibliothèque construite à cette occasion permet de rassembler les oeuvres, les écrits et les recherches sur son œuvre.
Porte-parole
Shaykh Muusa Kamara (autre orthographe de son nom) fut le porte parole de tous les marabouts de l’ A.O.F (Afrique Occidentale Française) lors de l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain à Dakar en 1935. "Il défendit alors l’idée d’une unité des trois religions du Livre, thème qui allait connaître un grand succès, alors même que sa vie,tout entière investie dans une œuvre littéraire tout à fait remarquable bien que largement méconnue occupe une place singulière dans l’histoire de cette période" souligne Jean Schmitz (CNRS-EHESS) dans son historiographie des Peuls musulmans d’Afrique de l’Ouest. "Durant les années 1920 il rédigea en arabe une monumentale Histoire des Noirs Musulmans,Le Zuhur al-basatin, où sont rassemblées de nombreuses traditions transcrites en arabe ou des chroniques des différents Etats peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto à l’est jusqu’au Fuuta Tooro à l’ouest. Les trois quarts des 1700 pages de son manuscrit qui sont consacrées à ce dernier Etat, situé dans la Moyenne vallée du Sénégal, ont été traduits et annotés en français par une équipe franco-sénégalaise associant des arabisants et des pulaarisants, des anthropologues et des historiens appartenant à divers organismes (I.F.A.N-C.A.D,ENS, ORSTOM,CNRS)".
"L’intérêt d’une telle entreprise ne réside pas seulement dans la qualité des sources ou dans l’esprit critique dont fait montre l’ auteur deux éléments qui ont séduit plus d’un historien-mais dans la nature d’un projet à trois composantes. En effet Kamara opère une traduction culturelle des institutions et de l’histoire d’une société qui se définit par le partage d’un même dialecte peul,"le pulaar",en utilisant la langue arabe et donc les catégories de pensées arabo-musulmanes et cela à destination des administrateurs- ethnologues de son temps. D’où l’importance de la traduction en français que l’auteur attendra vainement jusqu’à sa mort" rappelle Jean Schmitz.
L’originalité de Kamara réside dans le fait de mettre au centre de son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Toorobbe à la fin du XVIIIe, les liens de solidarité qui procédaient de ce que la terminologie coloniale appelait improprement "l’école coranique", à savoir les rapports maîtres/disciples qui s’instaurent lors de la transmission du savoir et qui incluent les pérégrinations propédeutiques en vue d’apprendre tel ou tel livre de grammaire ou de théologie auprès des lettrés dispersés, le compagnonnage spirituel durant la quête des savoirs secrets, enfin la fondation d‘un nouveau foyer d’enseignement. A l’inverse c’est la guerre civile provoquée par le retournement de ces relations d’amitié à partir du moment où le nouveau pouvoir est instauré qui explique le déclin très rapide, dès le début du XIXème siècle de l’ almamiat des Toorobbe,car au Fuuta Tooro,à la différence de la situation qui prévalait aussi bien en Mauritanie qu’au Fuuta Jaloo, les lettrés musulmans pouvaient accéder à la tête de l’État.
"Il y a une grande cohérence entre ce projet et la méthode Kamara, puisque ce dernier utilisera toutes les virtualités de ces rapports de transmission de la culture arabo-musulmane comme une sorte d’institution de recherche. Enfin, dans sa propre biographie, il ira jusqu’au bout de la déconnexion de l’islam et du politique ce à quoi aboutit sa démarche intellectuelle, puisqu’il refusa de participer au jihâd, de fonder une confrérie musulmane mais également d’être intégré à cette sorte de clergé musulman que les Français s’efforcèrent de susciter depuis Faidherbe (2)néanmoins,malgré son absence d’héritier, l’étonnante expansion pacifique de l’islam sous la colonisation montre qu’il était en phase avec son époque et qu’il est grand temps d’estimer à sa juste valeur l’œuvre de celui qui s’estimait être un "proche de Dieu",un saint qui voulut intégrer le monde soudanais dans l’ensemble de la culture islamique" confirme Jean Schmitz. M.C.



REGISTRE DE LA MÉMOIRE DU MONDE
Fonds Cheikh Moussa Kamara
(Sénégal)
Ref N° 2010-38
PARTIE A – INFORMATIONS ESSENTIELLES
1.         RÉSUMÉ

Le Fonds Cheikh Moussa Kamara (ou Shaykh Muusa Kamara) est composé de plusieurs manuscrits arabes. Rédigée durant la période coloniale, l’œuvre de Kamara, porte surtout sur l’histoire, l’anthropologie, la théologie et le droit. Il fut non seulement considéré comme un grand historien de son époque et un savant réputé mais il jouissait également d’une grande estime auprès de l’administration coloniale et de ses compatriotes. Il reçut la légion d’honneur en 1930. Choisi comme porte-parole de tous les marabouts de l’AOF (Afrique occidentale Française) lors de l’inauguration de la cathédrale du Souvenir africain dans la capitale fédérale, Dakar,  en 1935, Cheikh Moussa Kamara  prône l’unité des religions du Livre. Il fut encouragé dans sa démarche d’historien et d’anthropologue par Maurice Delafosse, Henri Gaden et d’autres africanistes.
Son œuvre littéraire monumentale, intitulée Zuhùr al-Basàtìn fì tàrìkh al-sawàdìn (Fleurs des jardins sur l’histoire des Noirs), fut écrite entre 1920 et 1925. Cheikh Moussa Kamara  est aussi l’auteur de quelques traités axés sur des thématiques bien déterminées, comme par exemple l’ouvrage consacré à al-hajj Umar et Al-Majmu‘ al-Nafìs (Recueil précieux sur l’Histoire de quelques chefs maures et peuls), le Tanqiyat al-Afhàm (Purification des idées sur les incertitudes des préjugés). Il compte parmi ses œuvres deux autres manuscrits, traduits et publiés respectivement en 1973 et 1976 par Amar Samb sous les titres « L’Islam et le christianisme » et « Condamnation de la guerre sainte ». Ces pièces et documents illustrent tous les aspects de la vie des princes, des paysans comme des résistants au joug colonial.
A sa mort en 1945, ses œuvres furent léguées à l’ I.F.A.N pour permettre leur accès aux scientifiques. Ce fonds, logé au laboratoire d’islamologie, constitue une documentation inestimable pour l’étude de l’histoire sociale et culturelle de Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest. Certains de ces manuscrits fournissent des données très diverses et sont d’un grand intérêt pour l’étude de l’Islam, de la littérature et de la rhétorique arabes ainsi que de l’histoire des idées.
De manière générale, on peut reconnaître que les œuvres de Cheikh Moussa Kamara  sont d’une valeur inestimable et qu’à ce titre, elles transcendent les frontières temporelles et culturelles, et devraient par conséquent être préservées pour les générations actuelles et futures.


2.         INFORMATIONS SUR L'AUTEUR DE LA PROPOSITION
2.1       Nom (personne physique ou morale)

Le Laboratoire d’Islamologie de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop (I.F.A.N-C.A.D)
2.2       Relation avec l'élément considéré du patrimoine documentaire

Le Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop conserve l’ensemble des manuscrits. 
2.3       Personne(s) à contacter


Pr Khadim Mbacké, Chercheur et chef du Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop.
Dr Thierno Ka, Chercheur au Laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop
Pr Papa Ndiaye, Directeur de l’ I.F.A.N-C.A.D
Souleymane Gaye, Conservateur et Responsable de la gestion des manuscrits du Laboratoire d'Islamologie  I.F.A.N Ch. A. DIOP
Dr Ndèye Sokhna Guèye, Présidente du Comité national du Programme « Mémoire du monde »

 2.4      Coordonnées complètes de la personne à contacter (adresse, téléphone, fax, adresse électronique)
I.F.A.N-C.A.D, Université Cheikh Anta Diop, BP 206, Dakar, Sénégal, Tel : (221) 33 825 98 90

3.         IDENTITÉ ET DESCRIPTION DE L'ÉLÉMENT
DU PATRIMOINE DOCUMENTAIRE
3.1       Nom et identification de l'élément

Du nom de son auteur, le fonds Cheikh Moussa Kamara est l’un des huit fonds du laboratoire d’Islamologie de l’ I.F.A.N Ch.A.Diop.  Le fonds est une production littéraire variée. Constitué entre 1920 et 1943, le fonds Cheikh Moussa Kamara est essentiellement composé de plusieurs manuscrits arabes sur support papier. C’est le fruit du travail intellectuel d’un grand érudit considéré comme le plus grand historien et anthropologue de langue arabe que le Sénégal ait connu. Composé de manuscrits arabes, ce fonds porte essentiellement sur l’histoire. L’auteur traite également des sujets relatifs à la religion musulmane, à la magie et à la médecine traditionnelle. La plus connue de ses œuvres, Zuhùr al-Basàtìn, retrace surtout l’histoire du Fuuta Tooro, de la Mauritanie et du Fuuta Jallon. Ses écrits ont servi de base à beaucoup de travaux de recherche comme ceux de Vincent Monteil, d’ Amar Samb, de Thierno Kâ, de Khadim Mbacké, de Omar Kane, de David Robinson, de Jean Schmitz et de bien d’autres islamologues, historiens et littéraires. Parmi les travaux effectués sur le fond  figurent aussi le rétablissement et la publication de deux manuscrits (la vie d' El-hadj Omar et sa guerre) par Ahmad Chokri et Khadim Mbacké, publiés grâce à la coopération entre l' .F.A.N et l'Institut des Études africains de l'Université Muhammad V de Rabat. Un troisième manuscrit traitant de l'histoire des deeniyaŋkoobe a été rétabli  par les mêmes chercheurs et proposé au même Institut. Le deuxième plus important manuscrit al-haqq al-mubin a été traduit en partie par Moustapha Ndiaye et publié dans le bulletin B de l' I.F.A.N. Le même manuscrit a fait l'objet d'une thèse de doctorat du 3e  cycle…Par ailleurs, une équipe de chercheurs, dont Khadim Mbacké, a traduit en français le Zuhùr pour le compte du CNRS, une partie de ce travail a été  publiée en 1997.

3.2       Description

Constitué entre 1930 et 1943, le fonds Cheikh Moussa Kamara est essentiellement composé de manuscrits arabes sur support papier. L’une des pièces maîtresses de son œuvre est un ouvrage rédigé en arabe durant les années 1920 et destiné aux administrateurs-ethnologues de son temps, notamment Henri Gaden et Maurice Delafosse. Il s’agit de sa monumentale Histoire des Noirs musulmans, le Zuhùr al-Basàtìn, où sont recueillies de nombreuses traditions transcrites en arabe ou de chroniques des différents États peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto, à l’est, jusqu’au Fuuta Tooro, à l’ouest.
L’auteur traite des chroniques peules, traditions historiographiques qu’on retrouve également au Fuuta Jallon, et des tarikh arabes. S’inspirant d’ Ibn Khaldun, Kamara propose une histoire cyclique des dynasties peules, caractérisées par une croissance et un déclin. L’originalité de ses œuvres se situe à plusieurs niveaux. Le premier niveau est caractérisé par son analyse de la conquête du pouvoir au Fuuta Tooro par les marabouts Tooroßße à la fin du XVIIIe. Le second niveau prend en charge les rapports maîtres/disciples lors de la transmission du savoir islamique et qui incluent les pérégrinations en vue d’étudier tel ou tel livre de grammaire ou de théologie auprès de lettrés musulmans, la quête des savoirs secrets ainsi que la création de foyers d’enseignement. Le troisième niveau concerne son opposition au jihad, aux guerres civiles qui minaient le Fuuta Tooro durant cette période d’opposition à l’ordre colonial.

4.         JUSTIFICATION DE LA PROPOSITION D'INSCRIPTION SUR LE REGISTRE/ ÉVALUATION PAR RAPPORT AUX CRITÈRES DE SÉLECTION
4.1       L'authenticité est-elle établie ? (voir 4.2.3)

Légué à l’ I.F.A.N par Mamadou Djiby Kane, petit-fils du Cheikh, le fonds est constitué de documents manuscrits authentiques, datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, et qui sont maintenus dans leur état originel. Il ne fait pour nous aucun doute que les manuscrits de Kamara représentent une source documentaire unique qui mérite d'être préservée en tant qu'élément du patrimoine culturel mondial.

4.2       L'intérêt universel et le caractère unique et irremplaçable sont-ils établis ? (voir 4.2.4)

Le fonds est unique en son genre et n’existe nulle part ailleurs. Il est conservé dans son intégralité au laboratoire d’islamologie. C’est une source historique unique d’une époque particulière de l’histoire de l’humanité, une époque où l’Islam et la culture islamique commençaient à s’imposer comme un des plus importants systèmes de croyance dans le monde. Le fonds constitue, par ailleurs, un patrimoine documentaire d’une richesse  inestimable en termes d’informations sur plusieurs domaines d’activités. Ces manuscrits retracent ainsi et traitent de différents sujets : l’histoire,  l’anthropologie, les ressources, la médecine locale, etc.  Les manuscrits comprennent des milliers de pages, rien que la pièce maîtresse de ses œuvres, le Zuhùr al-Basàtìn, comporte environ 1700 pages. Étant donné l’étendue des biens de la dotation et leur grande valeur ainsi que le prestige du Cheikh, la collection présente un intérêt régional et une importance universelle. De plus, les informations fournies constituent l’histoire d’une époque caractérisée par un dynamisme considérable et de grands changements.
Bon nombre de chercheurs se sont appuyés sur les écrits de Cheikh Moussa Kamara pour mieux connaître l’histoire du Fuuta Tooro et de la sous-région ouest-africaine. Maurice Delafosse lui-même, à son époque, avait demandé la traduction du Zuhùr al-Basàtìn en français. Cette collection de manuscrits, source inépuisable d’informations, continue aujourd’hui d’être largement utilisée par les chercheurs sénégalais et étrangers.

4.3       Un ou plusieurs des critères (a) de l'époque, (b) du lieu, (c) des personnes, (d) du sujet et du thème, (e) de la forme et du style (f) signification sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?

(a) de l'époque,

L’ensemble de l’œuvre de Cheikh Moussa Kamara  a été rédigé au moment où le Sénégal était sous la domination coloniale. Cette période de conquête coloniale a eu un impact certain sur le vécu de l’auteur. En effet, la présence européenne, surtout française dès le début du XVIe siècle, va bouleverser l'ensemble de la vallée du fleuve. Sur le plan économique, le développement de la traite atlantique avec une chasse à l'homme entraîna une permanente violence dans les rapports entre les États. La recrudescence de la traite des esclaves jusqu'au XVIIIe siècle plonge le Fuuta Tooro dans l'insécurité et la guerre civile (révolution Tooroodo). En opposition à ce commerce favorisé par la dynastie deeniyaŋke, une révolution musulmane dirigée par les Tooroßße (c'est-à-dire ceux qui prient) éclate à la deuxième moitié du XVIIIe siècle (O. Kane, 1986 ; B. Barry, 1988 : 155). Ces Tooroßße destituant en 1776 le Satigui deeniyaŋke (titre, d'origine soninke, pris par les dirigeants peul deeniyaŋke) instaurent le régime de l'almamiyat (qui vient de l'arabe Al imam, celui qui dirige la prière). Ils créent une théocratie musulmane et sont désormais à la tête de la hiérarchie sociale. Le régime a duré jusqu'à l'annexion du Fuuta Tooro par la France en 1881.
Avec l’abolition de l’esclavage dès 1848, l'impérialisme français va donc se traduire dans la vallée du fleuve Sénégal par les tentatives avortées de colonisation agricole de 1813 à 1831, expérience qui échoua avec l'opposition des chefs du Fuuta Tooro et des Maures. Ces derniers, défavorisés par cette colonisation agricole, ont créé une situation d'insécurité et entraîné une brève reprise de la traite des esclaves et du commerce atlantique.
Cette ingérence ne s'est pas effectuée sans heurts car elle a fait l'objet de quelques résistances d'islamistes qui furent matées par des expéditions punitives de la colonie du Sénégal. Ces guerres sont accompagnées de calamités naturelles comme la sécheresse avec ses cortèges de famine et de disettes. Aux exactions des tenants du pouvoir qui exigent vivres et bétail aux populations, s'ajoutent celles de la colonie française du Sénégal, établie à Saint-Louis. Elle dépossédait les populations de leurs récoltes, de leurs troupeaux, incendiant les villages, déjà ravagés par les épidémies.
C'est dans ce climat de guerres et d'insécurité quasi permanent qu’a vécu Cheikh Moussa Kamara qui s’opposait à cette violence. Son opposition au Jihad et aux guerres, il la traduit dans un de ses écrits, en ces termes : « La plupart de ceux qui ont fait la guerre sainte après notre prophète ne font que de l’ostentation et ne s’occupent pas des gens qui meurent dans la guerre sainte » (I.F.A.N, cahier 15 édité et traduit par Amar Samb, 1976).

(b) du lieu

Cheikh Moussa Kamara résidait à Ganguel dans le Fuuta Tooro, au nord du Sénégal. Cependant l’auteur s’est beaucoup déplacé, notamment dans le Haut Sénégal/Niger, en Mauritanie et au Fuuta Jallon à la quête du savoir. Ses récits retracent les lieux et itinéraires de ses différentes pérégrinations à l’intérieur de l’Afrique de l’ouest.

(c) des personnes

L’œuvre principale, le Zuhùr al-Basàtìn, est émaillée d’histoires de personnages charismatiques. Ces écrits sont évidemment d’une importance primordiale pour notre connaissance de la vie et de l’œuvre des dynasties peules, des paysans, des marabouts ou des résistants à la colonisation française. L’auteur a tissé des liens avec les administrateurs coloniaux comme Henri Gaden, de Lamotte, Ballay, avec les africanistes de renom tels Robert Arnaud, Maurice Delafosse, Paul Marty, Mariani. Faisaient aussi partie de ses amis les députés du Sénégal, Blaise Diagne, Ngalandou Diouf, quelques Almamy de la Guinée, le Cheikh Sadd Bouh et beaucoup de ses compatriotes, juristes, philologues, grammairiens ou écrivains de talent.

(d) du sujet et du thème

Entreprise originale, les écrits de Kamara fournissent des informations de première main dans les domaines de l’histoire, du droit musulman, de l’anthropologie, de la théologie, de la médecine traditionnelle et de la magie. Outre des informations sur les dynasties peules du Fuuta et tout ce qui s’y rapporte, les manuscrits renferment des indications sur la gestion des terres, sur la paysannerie ainsi que sur des sujets aussi variés que l’astronomie ou la zoologie. L’auteur propose un regard local et africain sur l’histoire de son pays et de la sous-région.

(e) de la forme et du style

L’ensemble des œuvres est manuscrit. Le style est comparable à celui des Tarikh soudanais (XVI-XVIIe siècles), du Tarikh as-Sudan d’ Abderrahman as-Sa`di et du Tarikh al-fettash de Mahmud Kati. Autrement ces auteurs s’intéressaient aux histoires dynastiques et régionales, aux biographies, aux généalogies et offraient en même temps des renseignements d’ordre économique, religieux, social ou géographique. Le style de Kamara rappelle aussi la manière d’écrire l’histoire d’ Ibn Khaldun qui focalise son analyse en présentant une succession de dynasties locales, à l’intérieur desquelles il propose des informations sur tels événements religieux, militaire, économique, voire zoologique ou astrologique.

(f) signification sociale/spirituelle/communautaire sont-ils satisfaits ?

Ces manuscrits sont une source unique de l’histoire du Fuuta Tooro et de l’Afrique de l’Ouest. De nombreux documents fournissent des informations essentielles sur l’organisation sociale, la situation des gens du commun, la situation foncière, la culture islamique, le christianisme, etc. Cette source documentaire a permis à beaucoup de chercheurs d’écrire sur des événements, des sentiments, des attitudes et des façons de vivre des personnes qui ont été oubliées de l'histoire, et d’avoir une relecture plus précise des pans essentiels du passé ouest-africain.

4.4       Des problèmes de rareté, d'intégrité, de menace et de gestion sont-ils associés à l'élément considéré ?

Les manuscrits de Cheikh Moussa Kamara, conservés au Laboratoire d’Islamologie de l’I.F.A.N Ch.    A. Diop, sont uniques et constituent une mine d’informations pour les historiens, théologiens et universitaires littéraires et ethnolinguistiques. Nulle part ailleurs on ne trouve une production de savoirs aussi complets sur le Fuuta Tooro en particulier et sur l’Afrique de l’ouest en général. Cependant cet héritage culturel commence à se détériorer et certaines écritures commencent à devenir illisibles; les manuscrits étant de plus maniés sans soin.  
 

5.         INFORMATION JURIDIQUE

5.1       Propriétaire de l'élément du patrimoine documentaire (nom et coordonnées complètes)

L’IFAN est chargé de la conservation au profit de la recherche.

5.2       Dépositaire de l'élément du patrimoine documentaire (nom et coordonnées complètes, si le dépositaire n'est pas le propriétaire)

L’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop

5.3       Statut juridique :
            (a) Régime de propriété
Depuis le legs du fond Cheikh Moussa Kamara  à l’ I.FA.N, l’intégralité des manuscrits est propriété publique de cette institution.

            (b) Accessibilité
Le fond documentaire est accessible au public dans la salle de lecture du laboratoire d’Islamologie pour consultation, pour des recherches ou à des fins officielles dans le respect des règles d’accès aux collections spéciales.

            (c) Droit d'auteur
L’intégralité du fond documentaire et le droit d’auteur appartiennent à l’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop.
            (d) Administration responsable
Le laboratoire d’Islamologie est responsable du fond documentaire.
            (e) Autres éléments
6.         PLAN DE GESTION
6.1       Existe-t-il un plan de gestion de l'élément du patrimoine documentaire ? NON
Le fonds Cheikh Moussa Kamara dispose d’un cadre de classement. Il est répertorié dans un catalogue. L’état de conservation des manuscrits est moyen. Conservés dans des casiers métalliques, ces manuscrits sont dans un état d’extrême vulnérabilité et ont un besoin urgent d’être restaurés et préservés afin de pouvoir être manipulés sans risques de détérioration. D’une extrême fragilité, les feuillets commencent à jaunir et à être, touchés par la poussière et l’humidité. Sur l’ensemble des manuscrits, certains présentent des détériorations dues à la manipulation. La salle de conservation dispose, néanmoins, de l’air conditionné. Des initiatives sont envisagées pour rendre le fond plus accessible et le protéger des catastrophes et de la dégradation liée à la consultation (numérisation de la totalité des documents).

7.         CONSULTATION
7.1       Rendre compte de la consultation

(a) du propriétaire du patrimoine ;

L’ I.F.A.N Cheikh Anta Diop est le propriétaire du fond documentaire.

b) du dépositaire ;

Le dépositaire est représenté par le laboratoire d’Islamologie de l’.I.F.A.N Cheikh Anta Diop.

(c) de votre comité national ou régional de la Mémoire du monde au sujet de la proposition d'inscription :

Un Comité national du programme "Mémoire du monde" a été créé sous les auspices du Ministère de l’Enseignement élémentaire, secondaire et des langues nationales. Dans ce comité, sont représentés tous les grands centres du Sénégal dépositaires de documents présentant un intérêt historique ou ayant une importance nationale, régionale ou internationale. La sélection et la proposition d'inscription ont été effectuées par les membres du Comité national du programme "Mémoire du Monde".
PARTIE B – INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
8          ÉVALUATION DES RISQUES
8.1       Préciser la nature et l'étendue des menaces auxquelles l'élément du patrimoine documentaire est exposé (voir 5.5)
Ce trésor national n’est pas protégé contre les dommages de l’humidité, de la poussière et des insectes. Les pièces portent des traces de détérioration et quelques écritures commencent à disparaître. La proximité de la mer suscite quelques inquiétudes dues à l’humidité. Le laboratoire bénéficie du système de surveillance assurant la sécurité jour et nuit avec la garde de l’ensemble du bâtiment de l’ I.F.A.N.

9          ÉVALUATION DE LA CONSERVATION
9.1       Donner des précisions sur les conditions de conservation de l'élément du patrimoine documentaire

L'état actuel de préservation du fond documentaire est loin d’être satisfaisant. En raison du manque de ressources financières, les manuscrits sont conservés dans des casiers métalliques dans une seule pièce, équipée d’une climatisation. Les conditions de température, d'humidité et de qualité de l'air ne sont pas optimales pour une meilleure préservation de ces éléments importants du patrimoine culturel et documentaire.  


Cheikh